Jean Rostand

 

Florilège (4)

 

bille1.gif (406 octets)     Confidences d'un biologiste

 

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Confidences d'un biologiste. Presses Pocket. Couverture de l'édition 1990.

 

      Cette anthologie de l'oeuvre de Jean Rostand rassemble des réflexions tirées de Pensées d'un biologiste, Inquiétudes d'un biologiste et Carnet d'un biologiste dont certaines sont présentées dans Florilège 1, Florilège 2 et Florilège 3. Un bon nombre d'ouvrages de Jean Rostand sont malheureusement épuisés et c'est un des grands mérites de cette anthologie de permettre au lecteur de découvrir des textes difficilement accessibles aujourd'hui. On y trouve des extraits de Science fausse et fausse science, Instruire sur l'Homme, Le droit d'être naturaliste, Aux frontières du surhumain... dans lesquels ce grand homme de science aborde des questions aussi importantes que celles de l'eugénisme, du charlatanisme de la parapsychologie, de la recherche en biologie, etc.  Ce modeste recueil est un panorama de la pensée humaniste de Jean Rostand, moraliste de la science, homme de coeur et de raison toujours agité par le doute, vulgarisateur scientifique dans le sens le plus élevé du terme.

 

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     A propos de l'eugénisme. Ecrit en 1953, alors que la découverte du code génétique valut seulement en 1965 le Prix Nobel de médecine aux chercheurs Jacob, Lwoff et Monod. Jean Rostand ignorait alors les applications biotechnologiques qui en découlent aujourd'hui, la thérapie génique, la création d'organismes génétiquement modifiés... mais déjà il s'interrogeait sur les pouvoirs et les dangers de la biologie, les merveilleuses possibilités qu'elle ouvrait à l'humanité et les risques qu'elle lui faisait courir.

    Nul doute que, dès maintenant, l'humanité pourrait, dans une large mesure, commander à son destin organique. (...) La question n'est donc pas aujourd'hui de savoir et de pouvoir ; elle serait de vouloir et d'oser... Forts de nos réussites en zootechnie et en phytotechnie, allons-nous nous engager hardiment dans la voie de l'anthropotechnie ? Accepterons-nous de nous soumettre à ces mêmes techniques qui font merveille sur nos bestiaux et sur nos volailles ?

     Tout le problème est là, d'ordre purement moral, et c'est dire que ce n'est pas aux seuls hommes de science qu'il appartient de le trancher.

 

 

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     [ Science fausse :

     Pour nous mettre en garde contre les illusions nés de notre désir de croire plutôt que de savoir, Jean Rostand raconte la stupéfiante (et édifiante) histoire des rayons N, qui démontre la nécessité d'exercer son esprit critique. Nous ne donnons ici que des extraits de la saga des rayons N. Le texte intégral est extrêmement riche mais occuperait trop de place. ]

     En ce domaine de l'illusion contagieuse, il n'est rien, je crois, de comparable à l'histoire de ces rayons N qu'un professeur de physique crut découvrir, qu'il soumit à une étude minutieuse et approfondie, dont il détermina toutes les propriétés, mesura la longueur d'onde - rayons que beaucoup d'autres savants, après lui, crurent apercevoir, prétendirent étudier, et qui, en fin de compte, n'avaient jamais existé que dans l'imagination de ces honnêtes chercheurs.

     (...) Donc, au début de l'an 1903, un distingué physicien, professeur à la faculté des sciences de Nancy, M. René Blondlot, correspondant de l'Académie des sciences, était en train d'expérimenter, comme faisaient à cette époque plusieurs de ses collègues, sur les fameux rayons X que venait de mettre en évidence le physicien allemand Röntgen.

     Les rayons X n'ayant pu être polarisés, Blondlot s'efforce de mettre au point une technique qui permette de constater leur polarisation ; et, au cours des essais qu'il poursuit dans ce dessein, voilà que se révèlent de nouveaux rayons, bien distincts des rayons X, et qui, à la différence de ceux-ci, se montrent polarisables. (...) Les nouveaux rayons sont doués de propriétés bien caractéristiques ; ils sont capables de traverser les métaux, ainsi qu'un grand nombre de corps qui sont parfaitement opaques à toutes les radiations spectrales antérieurement connues. (...) Il les baptise "rayons N", les désignant par l'initiale de la ville de Nancy, pour en faire hommage à la cité où leur existence avait été tout d'abord reconnue.

     Le rayonnement N n'est pas un rayonnement simple ; il comprend tout un ensemble de radiations différentes, mais qui produisent des effets communs, et dont l'un des plus manifestes est d'augmenter l'éclat d'une petite étincelle, ou d'une petite flamme, ou même d'un corps incandescent, lorsqu'elles frappent cette étincelle, cette flamme ou ce corps.

     (...) Comme on pouvait s'y attendre, le soleil lui aussi émet des rayons N, et les rayons d'origine solaire peuvent être concentrés par le moyen d'une lentille de quartz.

     (...) En attendant, Blondlot étend son exploration de pur physicien.

     Il a découvert que la compression de certains corps leur confère le pouvoir d'émettre des rayons N : ainsi en va-t-il pour une lame de verre que l'on fléchit, pour un bâton de bois que l'on courbe, pour un morceau de caoutchouc que l'on tord.

     (...) En février 1904, nouvelle découverte, et de haute importance. Voici qu'on peut photographier, sinon les rayons N eux-mêmes, du moins les effets qu'ils produisent, et notamment ceux qu'ils exercent sur l'étincelle électrique.

     Dorénavant, pour étudier leur action, l'on disposera d'une méthode constante et de valeur incontestable (on n'enregistre qu'un seul insuccès sur quarante expériences), méthode permettant d'éliminer entièrement le facteur subjectif, personnel, et ainsi de réduire à néant les objections de ceux qui, n'étant pas parvenus à voir les rayons N, allaient jusqu'à mettre en doute leur existence...

     [ Résumons : selon les expérimentateurs, les rayons N ont de multiples propriétés. Incapables de traverser l'eau pure, ils traversent l'eau salée, ils continuent à être émis par des objets métalliques de l'époque mérovingienne (donc depuis douze siècles), ils ont une longueur d'onde mesurable... On découvre des rayons antagonistes aux rayons N : au lieu de stimuler l'éclat d'une étincelles, ceux-là l'inhibent. Ils sont baptisés rayons N1. L'étude de ces deux types de rayons est menée de front. On trouve des rayons N dans le champ magnétique d'un barreau aimanté, dans des gaz liquéfiés, des ferments solubles... Ils sont conduits par un fil de cuivre, ils sont émis par les êtres vivants (on les nomme alors "radiations physiologiques"), les anesthésiques réduisent leur intensité, on peut suivre grâce à eux le trajet d'un nerf superficiel, mesurer l'activité cérébrale. Ils augmentent la sensibilité olfactive, l'acuité visuelle...

     Et puis... ]

     Tel était aux environs de 1904 le point de développement où était parvenue, en moins de deux ans, l’étude des rayons N et des radiations physiologiques.

     Ensemble imposant, comme on voit, de données positives, et dont la portée apparaissait considérable tant pour la pure physique que pour la biologie et la médecine, tant sur le plan spéculatif que sur le plan des applications possibles.

     Quelques mois plus tard, tout l'édifice sera jeté à bas...

     Ce n’est pas seulement les interprétations qui seront rectifiées ou abandonnées, mais, sans exception aucune, tous les faits d’observation et d’expérimentation qui se révèleront erronés.

     Dès l'annonce de la "découverte" de Blondlot, quelques doutes s'étaient manifestés, certaines critiques s'étaient élevées dans les cercles des spécialistes. Ces doutes, ces critiques, qui n'avaient pu entraver l'évolution impétueuse des recherches concernant les fameux rayons, s'étaient faits, peu à peu, plus vifs, plus pressants, plus persuasifs, et voilà que, maintenant - comme si brusquement les yeux se dessillaient -, le nombre va sans cesse diminuer de ceux qui affirment l'existence des rayons N.

     Alors que, tout à l'heure, tout le monde ou presque croyait les voir, maintenant personne ne les voit plus... Il semble qu'une sorte d'hypnose soit rompue.

* * * * * * * * * * * ** * * * *

     (...) Si nous avons évoqué cette étrange histoire, et avec une insistance qu'on jugera peut-être excessive pour le récit d'une erreur, ce n'est pas - est-il besoin de le dire ? - dans l'intention de railler rétrospectivement les chercheurs qui se sont ainsi fourvoyés, mais parce que nous pensons qu'il y a, dans cette illusion collective, une ample matière à réflexion.

     Ce qui est vraiment extraordinaire, dans cette affaire, c'est le nombre et la qualité des "égarés". Il ne s'agit pas de demi-savants, d'extravagants, d'amis du merveilleux ; non, ce sont de vrais hommes de science, désintéressés, probes, habitués aux méthodes et aux mesures de laboratoire, des hommes à la tête froide et solide, et qui, soit avant soit après l'aventure, ont fait leurs preuves de chercheurs : professeurs de faculté, médecins des hôpitaux, agrégés : Jean Becquerel, Gilbert Ballet, André Broca, Zimmern, Bordier, etc.

     Non moins extraordinaire est le degré de cohérence, de logique, obtenu par la construction illusionnelle ; tous les résultats concordaient, s'harmonisaient entre eux, se vérifiaient les uns par les autres.

 

 

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     Fausse science :

     Si, dans le champ de la vraie recherche scientifique, d'aussi grossières illusions ont pu abuser de véritables savants, que sera-ce dans le domaine de ces "fausses sciences" où toutes sortes de facteurs "impurs" interviennent pour favoriser la naissance et la propagation de l'erreur ?

     Goût du merveilleux et du mystérieux, pensée magique, espoir de surnaturel - sans parler de la mythomanie et du charlatanisme intéressé - , tout cela se fera complice de la pure crédibilité. Aussi, tandis que l'erreur ne peut s'accréditer bien longtemps dans la vraie science (pour les rayons N, elle n'a duré que deux ans), il n'en va plus de même dans les "fausses sciences", où l'erreur, sans cesse renaissante, persiste et prospère, au point qu'on douterait parfois si jamais l'on en pourra venir à bout.

     L'importance des fausses sciences est considérable du point de vue social. Si l'on faisait le compte des adeptes de la radiesthésie, de l'astrologie, de la métapsychie, etc., on trouverait que leur nombre passe de beaucoup celui des desservants de la science vraie. Pour elles, nul besoin d'appels éloquents et prometteurs : leurs troupes se recrutent toutes seules !

     [ Après une étude de ces pseudo-sciences, et, parmi elles, de la radiesthésie,  Jean Rostand conclut : ]

     Pour tout esprit tant soit peu renseigné, la cause est entendue : il n'y a pas de problème radiesthésiste, et le seul problème, d'ordre psychologique, est de comprendre comment il se fait que tant de gens, qui sont loin d'être tous des sots ou des trompeurs, s'opiniâtrent en pareille démence.

     (...) Jusqu'à nouvel ordre, je tiens tous les phénomènes physiques (déplacement d'objets à distance, lévitation, matérialisations, etc.) pour de grossières supercheries. Quant aux phénomènes mentaux (transmission de pensée ou télépathie, prémonition, clairvoyance, etc.), ils me paraissent attribuables, suivant le cas, ou à la pure coïncidence, ou à la fraude, consciente ou inconsciente - presque toujours consciente. (...) Le métapsychiste - presque toujours, du moins- se comporte comme s'il était affectivement attaché à ses convictions, dont il retire, semble-t-il, un bénéfice psychique (...).

     De toute façon, il donne l'impression d'être obnubilé par un "besoin de croire" qui ne laisse guère de jeu à ses facultés critiques.

     (...) Mais que faites-vous, m'objectera-t-on, de l'adhésion qu'ont donnée plusieurs grands savants aux prétendus faits de la métapsychie ?

     Je n'y attache - l'avouerai-je - aucune valeur persuasive, car les gens de science, souvent, se montrent dénués de tout esprit critique dans les domaines qui leur sont étrangers : incapables de tromper eux-mêmes, et habitués à la nature qui ne trompe jamais, ils ont grand-peine à soupçonner la fraude chez autrui.

     De plus, la fécondité même de leur imagination peut les induire à trop de complaisance pour l'extraordinaire.

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     [ Propositions de Jean Rostand pour cultiver l'art du doute chez les jeunes générations : ]

     S'il est quelque espoir de venir, un jour, à bout de l'illusion métapsychiste, et, plus généralement, des illusions qui nourrissent les fausses sciences, c'est moins par l'opposition directe que par le moyen d'une éducation convenable, d'une hygiène préventive du jugement. Enseigner aux jeunes l'esprit critique, les prémunir conte le mensonge, de la parole et de l'imprimé, créer en eux un terrain spirituel où la crédulité ne puisse prendre racine, leur enseigner ce que c'est que coïncidence, probabilité, raisonnement de justification, logique affective, résistance inconsciente au vrai, leur faire comprendre ce que c'est qu'un fait et ce que c'est qu'une preuve (...).

     (...) Je me souviens que, dans mon adolescence, je lisais avec une vive curiosité les ouvrages métapsychiques (...) lorsqu'une personne racontait devant moi quelque histoire "supranormale", je ne me sentais pas le droit de refuser systématiquement son témoignage.

     Autodidacte de l'incrédulité, j'ai appris, j'ai compris peu à peu qu'une foule de livres sont purement formés de mensonges, qu'il y a des bibliothèques entières d'impostures, que les gens les plus intelligents et les plus instruits ne sont pas ceux qui, en ce domaine, disent le moins de sottises et répandent le moins d'erreurs. J'ai appris que rien, jamais, ne s'est passé comme on le rapporte, que, même loyal et désintéressé, un témoin fabule toujours sans le vouloir, sans le savoir ; j'ai appris à suspecter partout l'infime déformation, involontaire et invisible, qui suffit à tout fausser et à empêcher un "fait" d'être un fait...

     Mais, cet acquis, ce trésor de scepticisme, il est, hélas, impossible de le communiquer directement à autrui. Et, quand on le porte en soi, l'on paraît atteint d'une sorte de doute névrotique, alors qu'on possède simplement le minimum de défiance qui s'impose.

signature de Jean Rostand

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